Pascale - La tailleuse et la poule
1780, les fêtes de Gayant approchent. Quelle effervescence, ce matin, autour des cinq géants d’osier de la ville de Douai !!!!!
Gayant, haut de ses 8,50 mètres, Marie Cagenon, Jacquot, Fillon et Binbin attendent leur tour et vont enfin être revêtus de leurs superbes habits créés par une quantité de petites mains. Leurs vêtements, pliés pour l’instant dans des énormes malles, vont enfin voir le jour.
Je m’appelle Françoise et suis la tailleuse de la ville. Entourée et aidée par les couturières et les brodeuses, je déroule avec délicatesse la superbe tunique grise du géant. L’émotion est à son maximum quand soudain, une grande tache de moisi se déroule sous mes yeux laissant ensuite place à une déchirure sur le devant du costume, tel un coup de couteau dans mon cœur!
Quelle horreur! Cet habit est inutilisable! Comment faire? Les fêtes approchent… Gayant ne sera jamais prêt pour le deuxième dimanche de juillet ! l’heure n’est pas aux bavardages, je sais pertinemment qu’aucun marchand de Douai n’aura le métrage suffisant, je prépare donc mon vieux cheval et pars pour ce qui sera aujourd’hui mon Eldorado : la Picardie. La route sera longue, mais de moi dépendent les fêtes de Gayant ! Deux heures plus tard, alors que je traverse la campagne, j’aperçois une vieille dame assise à côté d’une charrette remplie de bois et qui semble épuisée. Bien que pressée, je m ‘arrête.
- Bonjour Madame, vous allez bien ?
- Non pas très bien, me répond-elle. Je suis fatiguée car je ramasse du bois depuis ce matin et ma carriole est trop lourde. N’écoutant que mon grand cœur, je lui annonce:
- Désirez-vous que je vous aide?
- Si vous le pouvez, je ne demande pas mieux. J’habite à deux lieues d’ici près de la forêt.
La vieille dame monte sur le cheval et chemin faisant, je lui raconte ma mésaventure. Une fois arrivées, elle m’invite à me désaltérer, à me reposer et me dit :
- Merci pour ton aide, pour te récompenser, je t’offre ce superbe sabre qui appartenait à mon mari. Il te sera utile car les routes sont parfois dangereuses ou malfamées.
Je suis surprise mais j’accepte le présent que j’attache à ma ceinture et quitte la gentille dame. Le soir tombe. Ma monture et moi-même devons-nous reposer. A l’approche d’Arras, j’aperçois un relais. Je m’y arrête et des palefreniers emmènent mon cheval pour la nuit. Je rentre dans l’auberge. Personne. Pourquoi un tel silence ? Que se passe-t-il ?J’appelle mais ne reçoit en réponse que des petits caquètements qui viennent de la cuisine où une poule effrayée, perchée sur une armoire derrière des pots se met aussitôt à me parler à mon plus grand étonnement :
- Emmène-moi au plus vite. Le cuisinier me cherche et désire me tuer pour le pot au feu du dimanche de Monsieur le Comte Arnoult. Si tu me sauves , je te récompenserai.
- Je suis fatiguée et désire me restaurer car ma journée a été rude. Reste cachée pour cette nuit et je t’emmènerai avec moi demain matin.
La poule est si contente qu’elle se gratte le bec et aussitôt une énorme assiettée de potée savoureuse et odorante m’attend sur la table. Je m’installe et déguste ce succulent mets puis pars me coucher. Aux aurores, je me prépare et accompagnée par mon volatile , j’arrive aux écuries où mon cheval m’attend.
- Pose-moi sur ta selle ! m’ordonne la poulette.
J’obéis et je la vois à nouveau se gratter le bec. Soudain, dans un éblouissement total, mon vieux canasson se transforme en un magnifique étalon élégant et rapide comme le vent. Je monte sur son dos et en un éclair arrive chez le marchand d’étoffes.
Étrangement la porte du magasin est grande ouverte. Accompagnée de ma poule, je rentre sans bruit et aperçoit Benjamin, le propriétaire, ficelé sur une chaise avec un bâillon sur la bouche. Dans la réserve, deux brigands dévalisent les stocks. Sans attendre, je saisis mon sabre et fonce sur les pilleurs. Je me sens entraînée par l’arme et ne la contrôle pas, c’est elle qui me dirige etrapidement, les deux malfaiteurs sont plaqués au sol et la maréchaussée avertie. Je délivre Benjamin et lui explique le sujet de ma venue. Ce dernier est si content qu’il part dans sa réserve chercher les rouleaux d’étoffes grises qu’il charge immédiatement sur mon cheval.
Rapide comme l’éclair, la monture nous ramène à Douai dans la maison de la famille Gayant. Le lendemain et les jours suivants, une nouvelle tunique est taillée, cousue, brodée et installée sur Gayant, le symbole de la cité. Toute la famille est maintenant prête. La fête est sauvée, le défilé peut avoir lieu ! Une foule endimanchée s’est déplacée pour regarder le défilé dans les rues et sur les places. Portée par le son des tambours et par la musique, j’arrive près de la place d’Armes. La famille Gayant est là au complet, la roue de la fortune tirée par un cheval de trait, le sot des canonniers et les porteurs eux aussi se sont arrêtés pour le bonheur de tous! Dans un coin Louis Watteau est là lui aussi, avec son chevalet et ses pinceaux, en train d’immortaliser la scène, il peint la tunique chatoyante de Gayant. Un sentiment de fierté m’envahit, la fête a été belle, et je me dis que j’y suis un peu pour quelque chose, sans moi vous n’auriez pas la chance d’admirer ce tableau !