Le gardien de la tour

Durée: 5 minutes 23 secondes

Habib - Le gardien de la Tour

Un bruit lointain et percutant m’a sorti de ma torpeur... Ce n’est pas la première fois que je l’entendais, mais les vibrations qui parcouraient mon corps me disaient que ce bruit était comme une sorte de message, d’appel. Je me suis donc mis à marcher instinctivement en suivant le chemin boueux qui se présentait à moi, je m’enfonçais un peu dans le sol mais étrangement  cela me rassurait, j’étais confiant et je sentais l’excitation toute particulière de l’inconnu !

Mais ce sentiment ne dura pas et bientôt le bruit devint de plus en plus fort, puis soudain assourdissant! La violence du bruit me fit chanceler et je me retrouvais dans dans un bassin d’eau froide qui me ramena à une réalité tout particulière, presque inquiétante : le ciel était plus sombre et menaçant que jamais. Qu’est-ce que je faisais ici ? Je me dépêchais de sortir de l’eau et regardais tout autour de moi, le sentiment d’être seul au monde fut interrompu par un bateau au loin qui fendait la ligne d’horizon en même temps que le silence oppressant qui régnait maintenant.

 Je m’apprêtais à continuer mon chemin en me disant que je finirais bien par rencontrer quelqu’un, lorsque le vent se leva et m’obligea à fermer les yeux un instant. Je sentis l’air pur m’entourer comme un voile qui faisait danser les brins d’herbe et les coquelicots.

J’étais incapable de savoir depuis combien de temps je me trouvais ici. la seule chose claire dans mon esprit était l’absence de faim, de soif et de fatigue. Bercé par ce souffle, je tournai lentement sur place pour accompagner cette danse de la nature jusqu’à ce qu’une lumière aveuglante m’oblige à ouvrir les yeux.

Elle était là devant moi, lumineuse et attirante. Je dirais qu’elle mesurait sept années lumière. Un son apaisant semblable au ronronnement caressant d’un chat m’invitait à pénétrer dans ses entrailles. Le son enivrant me guidait vers le haut de la tour, les variations, les pauses et les silences étaient pareils à une respiration irréelle mais profonde qui rendaient la tour vivante.

Elle semblait en mouvement, un mouvement infime qui donnait la sensation que la tour continuait à se construire ou se reconstruisait en permanence.

Tout à coup, une impulsion m’envahit et sans hésiter, je me précipitai en direction du sommet ; le souffle commençait à me manquer mais une force indescriptible guidait mes pas et sans m’en apercevoir tout à coup je me retrouvais la tête dans les nuages. La tour s’ouvrait et se fermait, comme si elle respirait, des blocs de plusieurs tonnes en pierre et d’autres en cristal bougeaient et s’assemblaient par eux-mêmes dans un espèce de ballet magique. Parfois un ou deux blocs s’écrasaient au sol, comme si quelque chose se passait mal. Sur le chemin qui me menait vers le sommet j’en comptai 19 parfaitement taillés et alignés. Puis soudain plusieurs escaliers apparurent m’obligeant à en choisir un pour continuer mon ascension. Je décidai d’emprunter celui qui portait le numéro 786. Sans hésiter, je gravis les marches pendant un temps que je ne saurais estimer, avais-je marché 2 minutes ou 2 jours, je ne le saurais jamais : la tour avait son propre temps, sa propre respiration et ce n’est que lorsqu’elle le jugea opportun qu’elle fit apparaître devant moi un grand hall où m’attendait un très vieil homme vêtu d’une armure d’argent avec une lance en or dans la main gauche.

Je m’approchai prudemment  de ce Don Quichotte, il me salua dans une langue que je ne connaissais pas, mais quétrangement je comprenais et me dit d’une voix calme et fatiguée :

- Je suis le 40ème gardien de la tour de Babel

Je le saluai en baissant la tête en signe de respect et il me  sourit  pour me faire comprendre qu’il m’attendait puis il leva sa main d’un geste précis et me  fit signe d’avancer.

Je m’approchais de lui et il me tendit sa lance, au moment où celle-ci toucha ma main, le vieil homme disparudans un éclair, projetant sur moi son armure.

Depuis ce jour, je regarde chaque jour la tour se déconstruire et se reconstruire au rythme de l’histoire des hommes. L’équilibre se perd de plus en plus, j’ai eu peur mais maintenant que vous êtes là je sais que ça va aller !

Donnez-moi votre main...

"Le son enivrant me guidait vers le haut de la tour. Les variations, les pauses et les silences étaient pareils à une respiration irréelle mais profonde qui rendaient la tour vivante." (Habib, photographié par Yves Fauvel de la Société Photo-Ciné de Douai)

Claude Génisson a peint La Tour de Babel entre 1963 et1974. Cette toile a demandé plus de 9000 heures de travail à l’artiste douaisien. Cette réinterprétation de ce mythe biblique, par l’extrême minutie du rendu des détails que par son perfectionnement technique, évoque la manière des peintres flamands des 15ème et 16ème siècles. Néanmoins, la transposition moderne - voire futuriste - qu’en propose Claude Génisson avec son style singulier transcende le modèle original tant par sa dimension cosmique que par sa force dramatique.

 

Itinéraire bis est une balade sonore créée en 2022 par des habitants de Douai. Les œuvres d'art choisies évoquent leurs liens avec la ville. Ces Douaisiens ont été guidés par Bernard, médiateur du musée de la Chartreuse et accompagnés par Stéphanie et Pedro, comédiens de la compagnie La Boka qui ont dirigé les ateliers d'écriture et de mise en voix. Les photographes de la Société Photo-Ciné de Douai ont mis en lumière leur travail. Benjamin, compositeur et designer sonore chez Road Studio, a quant à lui créé les musiques et les habillages sonores de cette escapade poétique.

Nous vous souhaitons une agréable écoute.