Brigitte - Escapade d’une cafetière
Il était une fois une Dame Cafetière, jolie comme un cœur, ronde, pimpante, mais... si fragile... Elle vivait depuis... si je ne me trompe pas... deux ou trois siècles enfermée et voilà ce que vous auriez pu entendre si vous aviez collé votre oreille à cette transparence trompeuse que l’on nomme vitre :
- Je m'ennuie à mourir, n’y a-t-il personne dans ce monde pour me prendre par la anse, me faire vibrer, virevolter, pour me faire vivre tout simplement !
Enfermée dans sa cage de verre, elle répétait tous les jours la même triste ritournelle que personne n’entendait mais... un soir de printemps des bruits bizarres parvinrent jusqu’à ses écoutilles de porcelaine : bruits de papiers chiffonnés, pleurs, rires, chants... la vie quoi ! Le voilà enfin, ce jour tant attendu... Et sans réfléchir, d'un coup de bec... verseur bien sûr, la voilà qui brise la vitre pour s'évader. Guidée par les soupirs toujours plus forts, les cris et les rires ; enivrée par cette vie qui soudain s’offrait à elle, elle se laissa rouler jusqu’à la porte d’où l’essence même de la vie s’échappait dans un flot de mots pleurés, criés, chuchotés, susurrés.
- N'écris pas ! Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire. Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent. N'écris pas ! Je suis triste, et je voudrais m'éteindre. Les beaux étés, sans toi, c'est l'amour sans flambeau...
Curieuse de voir à quoi ressemblait la vie dont elle avait toujours rêvé, elle se risqua à avancer son bec dans l’entrebâillement de la porte et elle aperçût une femme, la tête entre les mains, le cœur au bout des lèvres et l’âme à l’envers... Comme c’était beau, comme elle était belle ! C’en était trop pour mon petit cœur de cafetière, ma soupape a sauté, mon couvercle a volé et sur le sol s’est rompu. Ni en mille morceaux, ni cent, ni deux, juste une petite fissure là en plein milieu. Ma vie a fait juste assez de bruit pour qu’elle m’entende, qu’elle me prenne par la anse... ses mains encore chaudes d’avoir tenu la plume. Nous nous sommes regardées, les bougies étaient allumées, on aurait dit un tableau du Caravage, je vous le jure, la vie à l’état pur.
Elle a remis délicatement mon couvercle fêlé et m’a murmuré :
- Pour livrer sa pensée au vent de la parole, s'il faut avoir perdu quelque peu sa raison, qui donne son secret est plus tendre que folle. Méprise-t-on l'oiseau qui répand sa chanson ? Alors approchez n’ayez pas peur et écoutez, demain, peut-être une nouvelle chanson... Et n’oubliez pas il y a une fissure dans toute chose ; c'est ainsi qu'entre la lumière même dans une cafetière...